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Lollipop
20 août 2014

Slow

1b1d8d6bIl y avait quelque chose de puissant, de violent, de vigoureux dans la morsure de son regard méthylène. En vain j'en cherche un synonyme adapté, mais les mots n’indiquent rien de l’émotion brute, qui est du métal qui bout, du sang qui coule d’une entaille, un cri d’homme. Il y a quelque chose de furieux que je souhaite retrouver absolument. C’est ça le but du jeu, vous voyez, vous comprenez ? Une sorte d’état de spleen qui me revient comme un boomerang par instant, j’essaie de le saisir à pleines mains mais pfuit, ça s’est déjà envolé. L’avez-vous déjà ressenti ? Oui, je vous pose la question. C’est une sorte de béatitude, c’est être à l’endroit où il faut, avec les personnes qu’il faut, quand il le faut. On ne s’y attend jamais mais voilà : ça se produit. Il ne faut ni plus, ni moins. Ni envie de fuir, ni de combattre. Juste être. C’est comme un éveil véritable, ressentir le mouvement de la terre sous ses pieds. Un truc comme ça. Je n’ai pas les mots non plus.

 

J’ai repensé tant de fois à cette après-midi, que j’ai toujours peur que l’émotion passe, que les contours des visages, les situations soient faussées. Nous n’avions rien voulu faire d’autre que de profiter de la présence de quelqu’un d’autre, qui soit vraiment là, avec soi, d’occuper les heures de conversation sans mouvement, une sorte de sieste commune. Nothing, just chilling.

J’avais espéré cette amitié, mais une fois allongé près de lui dans l’herbe verte, loin de la route, loin d'âmes à l’acuité brute, j’avais prié le rapprochement. En moi sourdait une flamme violente, qui me disait d’enlacer, d'étreindre, d'embrasser, puisait le vœu caché d’un feu similaire, mais buttait sur une attitude assoupie, qui se préoccupait de suivre un nuage solitaire d’un bout à l’autre du ciel. Il y dessinait un mouton, et il le faisait pour moi. Nous écoutions Enjoy the silence, chacun avec un écouteur, chacun avec un autre cœur. Les heures étaient celles du temps de vivre, de l’ivresse, des pensées faibles. D'un monde synonyme.

 ***

Vendredi. Ce qui était bien c’était que la soirée avait été parfaite, G. et E. étaient sorties ensemble, et mes deux groupes d’amis s’étaient liés, et cela me plaisait énormément. Tout du long nous avons été des satellites l’un de l’autre. Et finalement nous nous sommes retrouvés tous les deux, tout en face. Et c’était la fin de la soirée, dans ce club où je suis revenu en homme ou en songe tant de fois. Le vendredi soir, ça finissait toujours par un slow, et j’ai pas fait exprès mais j’ai levé les yeux vers lui et il me regardait aussi et il a souri. Il m'a tué net. Un truc de fou. Alors j’ai baissé mes yeux vers le noir du sol, parsemé de choses diverses que j’ai analysé avec minutie. Et puis, entre un cotillon et un bris de verre, j’ai vu sa main et des kilomètres au-dessus ses yeux bleus dans les miens. Ensuite, on a dansé doucement, comme des foules de couple l’avaient fait avant, comme une cérémonie, et j’ai senti ses mains un peu crispées autour de moi, froissant mon t-shirt et ma peau tout au-dessous, dans sa paume, entre les phalanges, et il n’a rien dit quand j’ai un peu serré les miennes autour de sa taille. J’ai pensé à des valses anciennes dans la cour d’un château, à un bal au cœur d’un pays vert émeraude, au marin qui retrouve cette fille dans le jazz de la baie d’Hudson, à mes grands-parents qui tournoiements dans le salon lors d'une veillée de Noël, aux rondes colorés des dessins animés, aux mouvements naïfs des enfants avant la découverte de l’odeur des peaux. Pourtant nous étions amis. Pourtant il était dit qu’il ne se passerait jamais rien ; nous étions dans l’habitude, pas dans la découverte. Il sentait tellement bon. Je me rappelle toujours de ce parfum. Qui muait ma pensée en souffle court. Et je m’en rappellerai toujours. E. et A. aussi y ont succombé. Il le mettait exprès. Moi aussi. Il n’y a rien qui marque plus l’esprit qu’un parfum, car c'est là un appel qui contourne la réflexion, qui frappe la pulsion d'un coup de poing. Je me suis retourné deux fois sur un homme dans la rue qui le portait, comme un sillon scintillant du porteur originel. Comme si c’était lui. Petit à petit nous fûmes seuls, les derniers à danser. D’abord les lumières ont disparu, je gardais les yeux fermés. Puis les voix se sont tues, je n’entendais que son souffle, puis les odeurs chaudes du club se sont évaporées, je sentais toujours son parfum, c’était une emprise, puis le contact du sol s’est amoindri, je ne ressentais alors que ses mains sur moi. Sa nuque également. Puis le choc a été d’entendre sa voix juste dans mon oreille, adressée à moi, directement. Et c’était comme la fin du monde, en mieux.

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