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Lollipop
25 août 2014

Atlas

atlas_shrugged_by_daverazordesign-d3dliev

Allongée sur le plancher neuf. Les yeux écarquillés sur les motifs géométriques que créent les branches d’un arbre sur le plafond ; les ombres d'une chevelure dont l'identité de la propriétaire est inconnue, qui se laisse choir sans fin dans une eau claire.

Je suis sur le point d'exploser. Je suis ce mot rencontré au cours d’une lecture : la déréliction. Je suis l’abandon, l’isolement et la solitude à la fois, mais avant tout le sentiment. Je suis la fille qui entend le bourdonnement du silence, tout autour d'elle comme une homélie. Je suis l’épicentre de l’éloignement maximal : entre moi et les créatures vivantes s'étend une distance plus vaste que celles parcourues par mille hommes en  mille vies. Je porte le monde sur mes épaules, non comme un fardeau mais comme un atlas magnanime, qui accepte son sort, avec déférence envers la charge vive ; la mienne est non de réunir les hommes sur ma nuque mais de les tenir le plus loin possible de moi, les bras tirés en arrière jusqu'à la rupture. Je suis le vide nervalien, la veuve, la ténébreuse et l'inconsolée, celle qui ne conspue pas la plénitude ; je suis le néant nécessaire à l’existence des lieux éructants de vie, le sahel avec en son sein un oasis.

Ma solitude est de celles recherchées contre sa consience, qui brave les comportements pavloviens, elle procède d’un instinct vital, un besoin impérieux du ça. Lorsque la vie griffe et lacère, il est humain de se battre ou bien de fuir, mais lorsque les armes sont des phalanges en sang, il ne reste alors plus que la deuxième option. Or fuir n’est pas une course mais bien son contraire : c’est étouffer le mouvement, ralentir les déplacements d’atomes et d’air, se murer dans sa propre absence, fermer les yeux, enfin reprendre son souffle. Le temps qu’il faut. Pour mettre des bandages à l’onguent de chagrin. Se recoudre l’arcade. Pour laisser ses muscles tendus se flétrir. La gorge se dénouer et laisser à nouveau s’y engouffrer un air bleu comme l’eau des saphirs. Pour que le chant des sirènes ne soit plus qu’une mélopée qui rebondisse dans la tête, doucement, puis de plus en plus lentement, jusqu’à disparaître, comme un nuage noir qui se délite sous le feu du soleil.

L’asthénie n’est pas une chute non plus, c’est une rébellion boudeuse. On ne laisse pas les besoins du corps prendre le dessus, on les élimine à l'inverse. On lutte contre le sommeil jusqu’à mourir empêtré dans les songes. On vainc la faim en se mordant les lèvres et en ne desserrant pas les mâchoires. On ressource le corps en le privant du moindre contact autochtone. On arrose les chairs d’une eau sèche. On masse le coeur à la seule fin d'une arythmie. Le rassemblement des jambes que l’on enlace de ses propres bras est une retrouvaille autant qu’une ascèse.

Malgré les caresses atones, le paix extérieure, la voix calme du silence, il ne reste ici que du déséquilibre brut. Je passe ma main sur mon ventre, vide comme l'orbite d'un crâne. Tu as dit que c’était le meilleur choix, je t'ai entendu, et tu as toi compris le repos, la cessation du temps, mais alors si tu souhaites que nous restions ad vitam dans cette maison américaine, pourquoi t’effaces-tu ? Tu restes à ce pôle chaud tandis que le mien n’est fait que de givre, d'une nostalgie d'événements qui ne se produiront pas. Une synthèse médiane avortée. Une cage à débordement qui s’équilibre en cataractes. Un orage entre deux rives. Une suite d'actes manqués. La conséquence irréversible de nos choix.

 

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