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Lollipop
12 juin 2014

Crystalised

moins-que-zero

La première occurrence de l’adolescence intervint dans cette chambre, intégrée dans cette maison, qui n’arrêtait pas de finir de se construire. Un couple d’amis de mes parents vivait là entre briques empilées, vitres encore recouvertes de plastique, tuyau bleu courant sur le béton et formes américaines formidables, de cette demeure neuve, sur les hauteurs qui surplombaient des formes sous un ciel rose, puis jaune, puis bleu nuit lorsque que le soir tombait, les ombres droites s'infiltrant comme une substance qui est le matériau dont sont constitués les cauchemars. Des lumières alors prenaient feu tout autour et dedans, que ne masquaient aucun rideau derrière les baies vitrées gigantesques.  Et dans la piscine qui allait de l’intérieur à l’extérieur de la villa  fusaient des formes polygones d'or, troublées par le rythme de l’eau.

En plein après-midi, sous le zénith, les traces de mes pas humides disparaissaient littéralement à vue d’œil. La maison américaine possédait une grande télé sur laquelle passaient des VHS neuves. Tout cet « équipement Hi Fi » était neuf aussi, tout était nouveau, pointu, ce qui à l'époque signifiait des appareils lourds, noirs et massifs. Nous pouvions regarder Robocop, ou E.T., ou Terminator, pleins « d’effets spéciaux à couper le souffle ». Des voyages étaient prévus par la famille mais il fallait d’abord terminer la maison. Ils tenaient une papeterie fantaisie près du magasin de mes parents ; combien de cartes d’anniversaire devaient-ils vendre avant d’être chez eux ? Et combien mes parents devaient-ils vendre de chaussures ? - est une question qui s'immisça un jour que ma mère revint en pleurant (je la vois encore en bas des escaliers) ayant réalisé un chiffre d'affaire nul. Pas une seule paire de chaussures vendues. Plus tard, ces amis se séparent et sont peut-être les premiers de ceux que je connaitrais dans ma vie qui convoqueront un divorce, événement disloquant l'ensemble des choses  ; la maison fut vendue, incomplète ? Le soir, des crapauds paissaient les moustiques et les insectes aveuglés par la lumière le long de la route neuve qui descendaient en virages. Dans la voiture aux sièges de velours brûlants, je priais pour que nous ne mourions pas.

Le couple avait trois enfants blonds mais je ne connaissais vraiment que le plus jeune d’entre eux, plus vieux que moi de quelques années ce qui, à cet âge, est une cordillère ; il s’appelait Jérémy avec un y mais je n’en suis pas certain car ce souvenir est parvenu à présent au bord (the edge) de ma mémoire qui est le bout du monde d’autrefois, où les eaux des fleuves, des mers et des océans tombent en cascade dans le néant, dans l'espace intersidéral. Il avait les cheveux blonds paille, encore un enfant mais plus tout à fait. Son frère surtout était un adolescent, grand comme une arche, dense et aux cheveux blonds tout autant, aux yeux verts, ou bien bleus, mais certainement pas marrons (ce qu’ils étaient probablement, mais eux sont déjà évanouis dans les limbes de ma grande cataracte mémorielle).

Je retrouvais sa chambre plus tard et son essence dans le livre qui s’intitule « Moins que zéro » et cette période au goût de plastique, de rouge à lèvre écarlate, de sensations d'ivresses et de choses américaines à la fois fraiches et lourdes, que sont les années 80. Au sol il y avait des haltères, sur les murs une affiche de film, des VHS (encore), des bandes dessinées, un lit mal fait, des affaires éparses, une porte de placard à persiennes blanches entrouvertes sur ses vêtements. La lumière entrait dans la pièce, comme une brise.

J’eu le droit de me plonger dans ses livres et dans ses films lorsque le soleil était une canicule que ni l’eau de la piscine, ni les grenadines roses ne rafraichissaient plus. Un soir, à la nuit tombée, nous commençons à regarder un film dont je ne verrai jamais la fin. Plus tard, dans une maison que nous louons car nous ne sommes plus propriétaires (les magasins ont débuté une ruine), la femme est embauchée pour faire le ménage mais elle est renvoyée car les bouteilles d’alcool (le whisky) sont vidées. De fait le poids des anciennes amitiés pesait trop pour cet emploi. Nous recroisons la soeur derrière une caisse d’une cafétéria perchée au sommet de la ville, là où je venais à une certaine période car c’était un lieu dont je tenais la vue sur les toits secrète. L’adolescent est resté pour toujours en dehors de ma ligne de mémoire, à jamais entre chien et loup dans cette chambre, dans cette demeure, ouverte sur les rêves les plus étourdissants qui soient qui sont ceux de la vie américaine du 4ème sexe, celui aux possibilités immense du teenage. Une voie grave assourdissante.

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