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Lollipop
13 juin 2014

L'objet

inception3

Il était posé, là, sur le rebord de l’escalier dans un état fixe qui n’était en réalité qu’un équilibre.

Lors d’une séance d’hypnose, il se peut que vous ayez à descendre des marches jusqu’à un endroit apaisant, jusqu’à un havre de paix (vous êtes absolument libre du choix de cette destination) ; vous devrez alors compter à rebours, de 10 jusqu'à 0.

10… Les marches sont faites d’une roche beige constellées de marbrures translucides ; elles sont aussi couvertes d’un morceau de moquette arrondi afin d’éviter de glisser.

9… Quand j’ai 8 ans, peut-être moins, je glisse sur une des marches alors que je fais l’équilibriste et le fier avec des puzzles (complétés, sur un support en carton) portés par chaque main. Cela n’a rien à voir avec les dessins animés : c’est rapide et brutal, mon bras se rompt sous le poids de mon corps qui tombe. Je ne me rappelle pas de la chute, ni de la douleur, ni de rien en fait. Sauf peut-être en bas, visage contre le sol, je me souviens de quelqu’un au téléphone, qui gesticule.

8… Assis à mon bureau j’apprends la table de 4, je l’apprends par cœur. Il y a du monde en bas, des amis que j’aimerai  rejoindre mais ma mère me dit une chose qui m’empêchera toute ma vie d’être vraiment heureux : « tu t’amuseras quand tu auras terminé ton travail, mais pas avant ».

7… Une nuit je rêve que je me trouve en haut des marches et que le vacarme d’une sorcière, battant chaudrons et marmites, me parvient d’en bas, depuis la cuisine. Je me réveille allongé sur mon bureau, loin de mon lit, ma mère prépare le petit déjeuner.

6… Combien de petits déjeuners et de repas en tous genres ma mère s’est-elle poussée à préparer, moi faisant le difficile, convoquant la fierté de ma mère pour avoir terminé mon assiette, alors que les louanges dussent être pour elle ?

5… Je ne parviens pas à résoudre un exercice ou bien une récitation en français, ma mère se met à pleurer, et je crois que la raison est que je la déçois (mais je fais de mon mieux), que je ne suis pas si capable que ça. Je comprendrai plus tard que tout n’est pas forcément lié à moi, que je ne suis ni dieu, ni un saint, ni un élu, ni quelqu’un de fort.

4… La nuit je suis terrorisé, je fais le tour de l’étage à la recherche d’âmes sans chair, je passe devant l’escalier dont les ombres, à son origine, sont solides.

3… Accroché au mur, juste derrière, un grand tableau qui me parait immense, représente un champ moissonné avec une vieille demeure de campagne, le tout sous un soleil de plomb ; je ne me souviens pas vraiment de son histoire.

2… Il y a de l’autre côté de l’escalier un bureau, le bureau de mon père, qui restera un domaine ex-machina toutes mes vies, quelque soit le lieu où il serait disposé, plus tard. Des pots de stylos pleins, des agendas et des organiseurs recouverts d’un faux cuir noir et brillant, à la fois lisse et rugueux sous les doigts, des enveloppes déchirées, des courriers cryptés qui s’entassent, le paquet de cigarette, le cendrier, les photographies (toujours les mêmes). Dans un des tiroirs – non c’était sur une haute étagère de la chambre d’ami - un révolver, qui n’est pas un jouet car il est lourd, incroyablement lourd, et fait d’un métal glacé. Mon meilleur ami vient, je le lui montre, puis il est à quelques mètres de moi, je le mets en joue – et ceci n’est pas imaginé – je tire. « Bam » je fais avec ma voix. Je le repose à sa même place ensuite ; il était vide, je n’avais avant jamais essayé de tirer avec. Je fais l'expérience d'une émotion nouvelle, ni agréable, ni désagréable.

1… Le vase en porcelaine, aux motifs que j’ai oublié, tombe du haut de l’escalier. C’est ma faute ; je jouais avec mon frère. La vitesse du temps est divisée par dix, je vois l’objet choir longuement, puis l’impact, le bruit cristallin des morceaux qui s’éparpillent très loin. Je dis que je peux essayer de le recoller mais nous savons que c’est impossible ; ma mère est inconsolable, il appartenait à sa maman. Je peux créer de la tristesse.

0… J’ouvre les paupières et tout y est, rien n’a changé, tout est à la même place. Je parviens à récupérer le vase juste avant qu'il touche le sol. On me félicite de ma dextérité, je souris, ma mère est fière de moi et c’est tout ce qui compte, tout ce qui a jamais compté, lire le bonheur dans ses yeux. Je peux créer, ce bonheur.

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