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Lollipop
29 juin 2014

L'averse

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Mon studio constituait à la fois un avantage et un désavantage (sa situation en plein hyper centre-ville, ses deux fenêtres donnant sur la rue, sur les toits) ; cette ambivalence trouva son apothéose lorsque vint l’été.

La touffeur du soleil mêlée à l’air lourd de poussières et aux odeurs d’asphalte créait une atmosphère bifide : je goutais à la fois la lourdeur des éléments, la violence des émotions, et tout autant la légèreté des corps, de l’esprit, et l’idée d’une certaine immortalité, de l’arrêt de toute chose en apesanteur. C’est à cette époque que je me mis à réfléchir en anglais, pour le motif que tout pointait vers les Etats-Unis, les refrains des musiques qui devenaient des palpitations à force d’écoute, les logos des majors au début des films, les séries sous-titrées, tout, le soleil semblait réfléchir ses rayons de la Californie à New-York dans ma direction, vers les fenêtres qui restaient grandes ouvertes, béantes, délivrant un air chaud que muait mon ventilateur en brise, tout ayant un caractère à la fois épique et mélancolique, un spleen vif.

Je commençais doucement à déménager chez lui lorsque le mur commença à se fendiller ; une fissure apparu du jour au lendemain s’étendant depuis le sol, longue d’un bras entier. De jour en jour elle grandit et je tentais au départ de la camoufler avec l’artifice d’une peinture blanche qui criait avec celle plus ancienne du reste des murs. J’imaginais un monde derrière cette plaie béante, qui se mit à grandir de jour en jour, et je rêvais la nuit qu’elle s’ouvrait tel l’orifice d’un être doué de vie ; l’immeuble était si âgé que la façade de briques et de crépi penchait fortement vers la rue tortueuse, semblant tirer le reste de mon appartement vers elle, le tout retenu par des câbles ou des cheveux de gorgone invisibles. Les cris des passants ivres, les poubelles renversées, mais aussi le silence de la nuit urbaine, sourd et grisant, entraient à la volée chez moi par les fenêtres aux simples vitrages, qui vibraient lorsqu’une fourgonnette passait, et stridaient comme deux ailes de grillons lorsque qu’une mobylette pétaradait.

Chaque jour je quittais ce nid de rat des villes pour son chez lui, qui devenait peu à peu chez nous. Je faisais tout cela à pied, transportant à chacun de me voyages des bricoles hétéroclites qui n’avaient en commun que le poids qui s’équilibrait à ma force, alors très faible, mais qui battait n’importe quelle fonte lorsque je me muais en flèche entre nos deux appartements. Je rangeais ensuite mes affaires dans ses placards, ses étagères, justifiant à chaque fois combien mes biens seraient utiles. Puis nous regardions un, deux, trois épisodes d’une série, sur son ordinateur que l’on devait plier légèrement pour qu’il fonctionne, projetant des clignotements d’un bleu sombre sur les murs blancs, sur le parquet en vieux chêne et sur les très long rideaux faisant deux fois ma taille. Nous mangions aussi des corn flakes qui coulaient au fond du chocolat froid.

La fissure grandissait toujours, par à-coup ; elle gagna finalement le plafond, marquant l’équerre de la jointure d’un craquellement tortueux qui semblait celui d’un tremblement de terre ; je songeais alors que la Californie réverbéraient ici un de ses épicentres. Mes étagères s’écroulèrent une nuit, libérant quantité de livres sur le sol sur lesquels je trébuchais. Au delà de la fissure apparurent  de lourdes charpentes en bois jointes par de la terre et de la paille ; quand exactement cela avait-il été construit ? Le décompte des siècles et des vies successives ici m’étourdit. Il m’arrivait de danser entre les murs, malgré le meuble immense qui occupait une grande partie du studio, fait d’un bois sombre et qui constituait divers rangements, sorte d’habitacle de vaisseau spatial ou pirate. C’était mon père qui l’avait fait construire sur mesure dans un bois cher, d’ailleurs l’appartement lui appartenait et moi de fait également, me semblait-il.

Une nuit quelqu’un frappa alors qu’il était tard : il s’agissait de mon voisin, beau comme un soldat romain, qui avait bu et venait chercher du réconfort car on venait de le quitter. Alors il devint accessible, ce qui me semblait auparavant inenvisageable, le fantasme du boy next door qui s'accomplit. Pourtant je me rappelle avoir clos ma porte après quelques échanges, ayant basculé mon poids d’une jambe à l’autre, alors que j’étais pourtant déjà tout empreint de lui, de son corps magnifique et de son regard sombre. Peut-être ai-je bien fait car peu de temps après j’ai rencontré lui, pour qui je sombrais dans un amour qui devrait durer bien plus longtemps que notre relation réelle, et qui fait qu’aujourd’hui j'y pense toujours, et j’écris encore sur lui.

Des orages touchèrent la ville durant quelques jours, en plein milieu de la l’été, qui devint diluvien : la tempête semblant s’appesantir sur les toits, brisants à chaque éclat les briques anciennes et les feuilles des arbres, de sorte que lors d’une de mes pérégrinations le sol apparut pavé de milliards de pellicules vertes issues des feuilles des arbres centenaires du parc, qui avaient été pulvérisées. Certains troncs quant à eux étaient affaissés sur le sol ou penchaient d’un angle qui ne laissait pas de doute sur leur trépas.

La nuit j’imaginais mon esprit se dégraffer de mon corps et parcourir les toits qui m’entouraient, les domiciles sans âges, les personnalités, la vraie vie des gens, tout étant éclairé par la lumière sélène.

Un matin, je me réveillais et il pleuvait littéralement chez moi : de longues gouttes d’eau muées en filet de pluie sale coulaient jusque sur mon sol. Je plaçais un saut dessous, "comme dans les films". Une fois que l’averse fut terminée, un coup de manche à balai sur le plafond le fit s’écrouler sur une largeur impressionnante. Malgré tout je ne réussis pas à m’en alerter, je vis en effet là le signe de mon départ imminent et définitif, et je quittais effectivement les lieux quelques jours après.

L’avant-dernière fois où je m’y rendis, un oiseau acheva d’y mourir devant mes yeux, et je vis la vie quitter les siens ; j’avais laissé les fenêtres grandes ouvertes et il s'était retrouvé incapable d'en sortir, ayant probablement une aile brisée.

L'ultime fois où je gravis les marches des escaliers de l'immeuble fut pour voir la nouvelle propriétaire, une espagnole qui vanta à mon part le confort de ses chaussures. Mon voisin me dit plus tard que le vaste meuble de bois foncé avait été abattu et que le studio était probablement devenu une chambre de passe ; cela m’amusa.

Un jour il plut sur le trajet, au milieu des grands et vieux hôtels particuliers, mais la pluie n’est au final que de l’eau qui d’abord clapote sur les cheveux, la peau, puis achève de couler sur le visage comme des larmes sans tristesse. Je ne m'en protégeais pas, car il n’y avait rien de grave.

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