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Lollipop
22 août 2014

Dope

tove-lo-stay-high-habits-remix-ft-hippie-sabotage_7567472-40180_640x360J'ai la sensation d’avoir dormi deux jours d’affilée, dans une gangue de rêves carmins, lorsqu’en ouvrant à nouveau les yeux j’éprouve la douloureuse certitude de me situer la réalité. J’ai abominablement soif, je suis immensément épuisée. Un rocher désincarné.

Je tente de me relever, y parviens un peu, puis cherche autour de moi quelqu’un que je reconnaisse ; mais je suis cernée de pénombre. Tout se met à tourner vers la nuit. Un pieu de métal glacé est enfoncé dans ma tête, mes yeux décrivent une spirale dans leurs orbites, ma peau s’est transmuée en liquide volcanique bouillant qui dégouline.

Je reconnais pourtant l’endroit où je me trouve : je suis derrière un amphi de la fac, sur l’herbe verte déjà jaunissante du début de l’été, dans une sorte de parc où les lueurs et les sons parviennent difficilement à ne pas se perdre dans l’ombre.

Au loin, un groupe d’étudiants discutent, une fille se met à dire quelque chose très fort puis éclate de rire. Je passe devant eux au moment où je me rends compte que j’ai réussi à me lever et à marcher ; les voix s’interrompent un instant puis reprennent dès que je m’éloigne. Je ne sais pas de quoi ils parlaient.

Ensuite, les lumières deviennent plus crues, les bruits plus assourdissants, les êtres plus humains. Les enceintes surpuissantes diffusent L’Aventurier que des générations d’étudiants saouls ont scandé en virevoltant un rock approximatif. Puis c’est au tour du Brio de Big Soul et alors les gesticulations, les sourires et les cris se fondent ensemble en une cacophonie jubilatoire. Je poursuis ma marche dans une tempête de neige et de quartz.

Je marche en direction des toilettes, un pied devant l’autre, un pied en travers de l’autre, en croisant d’autres zombies mais aussi des personnes qui ne le sont pas, et qui me regardent en riant, en s’esclaffant, en compatissant. Comme c’est la fin de l’année il y a là beaucoup de jeune chair, d’ici et d’ailleurs, dans un état plus ou moins instable. J’ouvre une porte blanche constellée de tâches, puis la verrouille et constate que ma main a laissé une traînée gluante sur la poignée.

Le reflet dans la glace, je vois un spectre.

Ce qui me frappe tout d’abord, ce sont les traces de gerbes qui vont de mes cheveux jusqu’à la ceinture de mon jean, peut-être plus bas même, mais je crois que c’est plutôt de l’urine, je ne sais pas vraiment (c’est froid).

Je suis blanche. Plus blanche que le carrelage qui recouvre le sol et les murs, mais contrairement à lui je ne suis pas lisse, pas propre. Mes yeux surplombent des cernes saupoudrés de cendres et ils sont injectés du sang qui a quitté le reste de mon corps. Leurs iris ont la teinte fade du verre dépoli que l’on trouve parfois sur les plages. Je pose mes mains sur le rebord du lavabo et sens vibrer la porcelaine au rythme des baffles qui, à des années-lumière d’ici, fait se mouvoir les corps.

« Merde », dis-je à voix haute. Je vais rester là. Un petit peu. Au calme. J’ai brusquement une envie irrésistible de pleurer. Mais je retiens tout. Car si j’ouvre les vannes, un lac va se déverser, fait de l’eau saumâtre de notre rupture.

Je retire mon chemisier et le laisse tomber par terre, en boule, puis l’écarte d’un petit coup de pied.

J’ouvre ensuite le robinet et passe mes mains sous le jet tiède. La consistance de l’eau est agréable, claire. De la main droite je rince mon bras gauche. Puis de la main gauche je rince mon bras droit. Enfin je mets mes mains en coupe sous le robinet et projette le liquide gris sur mon visage, qui le reçoit à la fois comme une gifle et comme une caresse. Je bois ensuite à grosses goulées, mais l’eau ne semble pas trouver en moi de réservoir, de quoi remplir quelque chose et ma soif paraît sans fin : je ne suis plus qu’un tube qui avale. J’aimerais tellement à cet instant que tu m’attendes quelque part, je sais que je trouverais toujours la fureur de te rejoindre.

Je mets ensuite la tête sous l’eau, du moins au centre du lavabo car mon crâne est trop gros. J’asperge mes cheveux, beaucoup, et cela me fait un peu du bien : je me sens alors revivre, ou mourir moins. Je passe ensuite de l’eau sur mon jean neuf et un liquide bleuté s’en échappe et glisse sur le sol. Dans ma poche arrière, ma main découvre un petit sachet hermétiquement fermé, vide à présent, qui contenait tout à l’heure un comprimé rose. Je t’avais promis que ça je n’y toucherais jamais, mais tout s’est délité avec toi, tant les promesses que toutes les sortes de détermination.

Et puis soudain : je pleure.

Tout sort d’un coup et s’étale sur mon visage, qui se distend. C’est faux ce qu’on dit : que les gens qui pleurent sont beaux. En vérité c’est affreux : le faciès se tord, se vrille et on ne voit alors plus que des yeux rouges et minuscules qui crient ce qu’ils peuvent de larmes ; de la morve coule à flot des narines jusqu’au menton et ressort même par la bouche, puisque la gorge est trop contractée pour laisser passer à nouveau quoique ce soit.

Je revomis pourtant encore et encore, mais de moins en moins, ce qui signifie que la vidange est bientôt finie (je l’espère) ; de toute façon je ne régurgite plus que de la bile translucide. L’eau continue de couler dans le lavabo et je m’effondre à même le carrelage. Je laisse s’affaisser mon corps, je n’ai pas le choix : dans de telles situations c’est lui seul qui dicte, qui trouve la position, comme ça, qui s’écroule sur le sol. Je reste ainsi un moment. Sur la porte des toilettes quelqu’un a dessiné une chose qui mue ma tristesse en cacophonie : un cœur plein de nos initiales. J'ai alors cette pensée, qu'on ne pourra jamais trop écrire sur les ruptures des histoires d'amour, pour le motif qu'elles sont des incendies grégeois, et les larmes consécutives de l'alcool jeté sur les braises.

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Commentaires
C
Encore deux points alors et c'est bon :-). Merci en tout cas !
C
très bon 18/20 !!!
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Lollipop
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