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Lollipop
20 août 2014

Au-delà des ombres

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Il est tard.

L’heure où les ultimes clartés naturelles s’effacent. Place est faite à une éternité plutonique apparente, que l’instinct devine comme plus tangible que le jour. L'instant long où l’imaginaire remplace la vision, où nos yeux sont contraires : l’âme est à présent leur miroir.

La nuit est tombée partout, et je me sens un peu comme une survivante dans le halo de lumière. Comme si la fin du monde avait eut lieu, quelques minutes avant, et qu’il ne reste plus qu’une seule source d’éclairage sur Terre, qui m’illumine comme elle le peut. Mais moi, je ne peux pas trop lui en demander non plus. C’est une survivante elle aussi, à sa façon. Je décide de la quitter, pourtant. Je tourne le dos à l’extinction finale du jour.

Le bus redémarre, me laissant seule sous l’abribus, seule dans la nuit. Je ne connais pas vraiment ces lieux : je viens juste d’y emménager. Tout ce que je sais, à cet instant, c’est qu’il fait noir, comme une atmosphère d’encre, vous savez, comme si la noirceur de l’air était palpable. Froide comme le silence. Je marche dedans. Je relève le col de ma chemise, je ressers mon écharpe, je serre les dents, je souffle entre elles. Il y a des formes irrégulières, pas familières du tout, autour. Je sais que dans quelques temps je connaîtrais tout cela, ces formes seront miennes, et même, encore plus tard, ce seront des souvenirs. Mais pour l’heure ce n’est ici qu’une contrée inhospitalière où je ne me sens pas à ma place. Chaque pierre, chaque arbre semble me crier de partir loin, vite, que ce ne sont ni mes pierres ni mes arbres, qu’ils appartiennent à d’autres, que je ne fais pas partie de leur histoire, qu’ils en ont vu ici, que je ne suis qu’une ombre, et que ce n’est sûrement pas l’inverse.

Mes yeux ne s’habituent à rien. J’ai peur. Non c’est différent. Je frissonne. C’est l’inconnu. La peur c’est toujours la peur de l’inconnu. Mais là elle ne se cache pas derrière des artifices : c’est de la peur pure. C’est presque plaisant tant j’ai oublié le reste de mon identité. Je ne suis plus quelqu’un, je suis juste le passager non désiré de ces ténèbres. Eurydice avait pour chance d'ignorer son destin : je ressens viscéralement le mien comme sans retour.

Mes écouteurs occluent mes oreilles et j’ai déjà monté le volume au maximum.

Il y a beaucoup trop de noir. Partout. Cela m’est insupportable.

Je passe la porte de mon appartement, je vais mettre en route du bruit et des images rassurantes à défauit d'être bienveillantes : la télévision, le téléphone, l'ordinateur, les fenêtres ouvertes sur la rue.

Mais l'interrupteur n'allume rien.

Quelque chose bouge dans les ombres, se déplace vers moi. En un instant ma peau est permafrost, et sous elle mon corps est la terre sans vie, là où git la mort. Ma gorge est un cri, qui ne s'échappe pas.

Alors, je cours.

Je cours si vite que je m’en étonne, mes jambes me portent à toute allure, comme si elles n’attendaient que ça. C’est bien ça : elles me portent. Mes pensées essaient de s’accrocher mais je sens qu’elles s’étiolent. La peur desserre ses griffes de mon estomac également. Je rééquilibre la balance. Je continue pourtant. C’est étrange je ne suis même pas essoufflé. A un moment j’ai l’impression que, lors d’une enjambée, je n’ai même pas touché le sol. Je suis grisée. Je continue à courir. Les ombres se dispersent. Mes jambes me font voler, ce sont mes ailes et elles battent fort pour m’évader. Plus vite.

Plus vite.

Plus vite.

PLUS VITE

 

***

 

M : mais qu’est-ce qui t’est arrivé ?

Moi : rien. J’ai couru.

M. : pourquoi ?

Moi : parce que.

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