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Lollipop
27 août 2014

Le doute

matrixpills

J’étais enclavée, depuis quelques jours déjà, par une émotion qui ne disait pas son nom, qui me serrait la gorge et en même temps me rendait plus alerte, dans un flux nouveau, une lumière vert d’eau qui surgissait et s’échappait de moi, un contre-courant de rivière écumante, des mains d’araignées rouges enchâssées dans mes côtes à chaque fois que j’inspire, un sentiment d’étrangeté qui ne me quittait pas.

Les besoins animaux s’effaçaient en silence : je n’avais plus vraiment faim ni soif, je n’avais pas non plus mon compte de sommeil car il n’y avait rien à endormir. J’étais absente à la souffrance et à tout appétit, mais cela ne me dérangeait pas : j’avais toujours le goût des choses en mémoire mêmes si elles avaient perdu l’impératif de leur consommation. Seule restait une digestion langoureuse, du lait dans les poumons.

Qui n’a jamais ressenti ce sentiment, à la fois fugace et tangible, que l’on est en réalité déjà mort ? J’en avais déjà fait l’expérience par instant, par à coup, sortes de montées d’extases, dans une localité d'évanescence. Mais rien ne durait assez pour que je m’y intéresse tout à fait. Un frisson dans les vertèbres, une ombre liminaire au champ de vision, une impression de déjà-vu comme un étourdissement, une personne inconnue croisée dans un magasin et dont on sait des choses qui devaient rester ignorées.

Aucune morbidité n’imprègne cet état limbesque : c’est une antichambre qui n’est pas une salle d’attente, mais une salle de bal si vaste qu’on n’y ressent nul besoin d’extérieur. On sait qu’il y a plus loin cette porte blanche aux moulures pastel, et qu’une lumière puissante et claire en dessine les contours, sertie des chants de femmes-enfants. On se trouve dans une bulle d’alcool et d’éther, de félicité, d’éveil, quelque chose de cardiaque, mu par l’inconscience, la constriction d’un serpent invisible dénué de crocs, une épiphanie qui survient. Quelque chose d’absurde mais aussi de formidablement beau.

Qui peut affirmer que la suite de la mort n’est pas une fin mais une continuité, comme une course qui ne se termine pas après l’élan, là où la rupture échoue ?

J’ai envie de croire que lorsque la vie est close, rien ne l’est en fait vraiment. Que nous continuons à vaquer, à marcher dans les mêmes lieux, à voir les même gens, à convoquer les mêmes habitudes. Que la vie continue en somme. Que nous ne découvrons pas immédiatement la vérité de notre inexistence. Nous montons dans des rames de métro et personne ne nous regarde. Il n'y plus de reflet dans le verre de la table. Nous remarquons cela sans trop y croire, un délire anodin, une coïncidence de plus. Ce qui est différent c’est pourtant que nous, nous voyons tous ces gens, sous chacun des angles existants. Alors, petit à petit, le doute s’installe. Nous réalisons avec tranquillité que nous ne sommes plus. C’est vrai : notre substance n’est plus que celle, menue mais dense, d’une âme sans carnation. Et cela nous frappe doucement. En aucun cas il ne peut s'agir d'un choc. Depuis quand ? On ne sait pas. Ce n’est pas si important.

Nous ne sommes plus. Ce que nous étions, l’entité aux sept milliards de semblables, n’existe plus. Mais ce n’est pas grave. Et c’est en cela que c’est essentiel. De prendre conscience.

De tout ça.

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