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Lollipop
18 septembre 2014

Pulp

Sans titre"Homme, n'as-tu jamais goûté de ton sang, quand par hasard tu t'es coupé le doigt ? Comme il est bon, n'est-ce pas ?"

Lautréamont - Les Chants de Maldoror

 

Je considérais depuis toujours le fait de  me maquiller comme un moment privilégié en compagnie de ma carcasse. Elle devenait ainsi, l’espace de quelques mouvements idiotiques, une carnation empreinte d’une certaine forme de vie. J’étais avec mon corps comme une femme avec son vieil amant : je le côtoyais du bout des yeux et des phanères, le supportais avec un mélange de résignation et de coutumes pesantes, me contraignais de temps à autre à une promiscuité nauséeuse mais nécessaire, qui avait pour architecture un certain ordre des choses, une implication totale dans l’humanité.

Jamais nous ne tombions d’accord. Lorsqu’une poussée d’optimisme ou de jeunisme me faisait penser que, peut-être, avec quelques efforts cosmétiques, je pourrais être moins quelconque, plus bravache, mon épiderme ne se laissait rien conter. Mes cils battaient une chamade comme une révolte contre le pinceau noir, la poudre sur ma peau me faisait suinter le nez, un point noir caché ressortait impétueusement quelques millimètres plus loin, un bouton retenait sa respiration pour paraître encore plus rouge. A l’inverse, lorsque ma peau ployait elle-même sous les feux d’artifices pastels, muant sa brillance en éclat, ou que mes yeux s’allongeaient de mansuétude, je ne voyais en mon visage qu’un paysage vallonné de sillons arides, une tectonique de purée de pois.

Seules mes lèvres ont toujours été dociles, et je conserve pour cet organe fruitier une considération qui ne s’est jamais affadie. Derrière son apparente placidité se dissimulent les crocs et le gosier, le muscle saurien de la langue, le sens cru du goût. Je sais apprécier la moue suave de la lèvre vernie par le tube rouge, dont la chair est doucement étirée vers les commissures, et tout autant la façon dont elle revient en place (mollement). Le claquement des lippes l’une sur l’autre qui suit, et qui conclut le cérémonial vermillon, cet acte de haute féminité, cette supplique œcuménique de sang qui bas sous une peau d’éponge, est aussi agréable qu’une main trop tendue dont on fait craquer les phalanges. Il y a là tout un sacerdoce, dans la pulpe des lèvres, dans la retenue du souffle chaud, dans le baiser vers lequel elles tendent ; si les yeux sont le miroir de l’âme alors la bouche est le reflet de la truculence : ses déformations sont un sémaphore qu’on devine de l’avoir décodé. Les lèvres sont deux grâces que rien n’embarrasse : ni la chair hachée, ni le mot cru, ni l’aphorisme malséant. Ce sont aussi le véhicule d’une sexualité véritable, son extrémité vraie, qui fait que l’acte n’est pas qu’animalité mécanique, mais une union mesurée, muable, étourdissante, le cœur palpitant lui-même qui se floute à la surface du visage.

Je repeins ce soir mes lèvres d’un rouge sanglant, et dans le reflet du miroir mon corps nu dissimule le tien, évanoui sur et sous les draps blancs, avec une pudeur qui n’en est pas une, puisque que tout comme ma bouche est vêtue de vermeil, je sortirai dans la rue haute et fière, telle une amazone perchée sur des talons hauts, le corps flanqué de deux écharpes purpurines, issu de tes ventricules que j'ai cambriolé.

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