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Lollipop
9 août 2009

Stan

08082009135

 

- S’il te plaît, s’il te plaît…

- Chhhht

- S’il te plaît, s’il te plaît, je m’entends répeter.

- Chhhht, chhht, calme toi, tout va bien se passer tu m’entends, tout va très bien se passer…

- Je n’y arriverai pas, je ne veux plus, c’est trop difficile, ohhh s’il te plaît…

- Tu sais que ça va bien se passer. Calme toi. Fais moi confiance… Tu sais que tu peux me faire confiance, hein ma chérie, hein mon amour..

***

Je redemande une pause – non j’oblige l’équipe, le staff, les figurants, la maquilleuse, la fille qui téléphone là, le gars qui règle le projecteur, les gens autour, tout ça, à tout arrêter encore. Je retourne dans ma loge, je ferme le verrou, puis je l’ouvre à nouveau, j’entrebaille la porte, je la claque, je rappelle ma mère.

- Tu l’as trouvé ? je lui demande sèchement.

- Oui je crois. Mais...

- Passe le s’il te plaît… Et monte le volume au maximum.

- D’accord. D'accord.

J’entends avec soulagement le son familier du plateau de la chaîne hi fi s’ouvrir puis se refermer, suivi très vite par les premiers accords de Stan d’Eminem qui tapissent mes oreilles, ma loge, l’univers, la chambre de mon frère, assourdissent le temps.

- Monte encore un peu le son s’il te plaît..

- C’est déjà très fort. Je t’entends à peine.

- C’est parce que je murmure, s’il te plaît s’il te plaît..

- D’accord d’accord…

- Tu peux prendre une photo ?

- Une photo ? De…

- Oui de la chaine, de la chambre de tout, prends toute la pièce en photo.

- 

- S’il te plaît..

- D’accord, d’accord.

L’immersion n’est pas facile, il y a d’abord l’espace entre nous, entre ici et avant, il y a longtemps, autrefois, mais petit à petit les images de hublot où l’horizon se confond avec l’espace, les trajets sans fin, d’ici à l’autre bout du monde, de cet océan inhumainement profond et vaste, tout ça se délite et je me revois avant. Je rallume une cigarette. Je me rappelle, je me rappelle. Des détails. Des odeurs, le bruit des voiture sur la grande rue, plus haut, une feuille qui tombe, qui tournoie, qui met une éternité à toucher le sol et je marche trop vite alors je me retourne pour la voir choir en équilibre sur le trottoir, choisir le film, deux films, un chacun, mon frère prends toujours le plus violent, le retour, l’odeur du shit, la gomme qui colle aux doigts, l’éclairage tamisé, l’été qui entre par les fenêtres grandes ouvertes, l’insouciance, la sécurité et la liberté, j’ouvre la porte de la chambre, l’angle du poster dépunaisé, les draps lavés remis en place, le bouton on de la télécommande, les albums achetés au centre commercial qui prennent la poussière, les samedis après midi, les mêmes chansons réécoutées cent fois, dans la chambre, dans le bus, dans la cours, entre les cours, dans mon lit…

Quelqu’un qui tape la porte.

- J’arrive, j’arrive.

Les films qu’on regardait et dont toutes les histoires se déroulaient ici, aux alentours de Los Angeles, en périphérie de nos rêves, avec une saveur douce amère que j’ai ressentie ici en arrivant, mais quand même plus acre, comme un bonbon acide qu’on voudrait sucer jusqu’à la dilution édulcorée, jusqu’à ce que la salive en dévienne épaisse et sucrée, mais que finalement on avale, un peu écoeuré. Il y a tout ça ici, le sucre, l’excitation, le cœur et les yeux grands ouverts, l’infini, les grandes lettres d’HOLLYWOOD blanches et inertes, flamboyantes et mortes, je les ai vues tu sais, je les connais, elles m’appartiennent ; il y a même eu un article sur moi où la page qui me précédait était une publicité pour Yves St Laurent avec une femme au socle du monument, et lorsqu’on fermait les pages j’imaginais que ces lettres étaient moi, que c’était mon prénom qui était calligraphié sur les collines de Los Angeles, que j’étais immortelle, un mythe. Une légende.

Je commence à recevoir les photos, je les fais défiler nerveusement, j’ouvre/je fermes les yeux comme pour faire avancer un film. Sa voix, j’essaie de me rappeler sa voix. Les étoiles, les hallucinations visuelles quand j’avais trop fumé, ma tête qui se déplace indépendamment de mon corps.

Un crissement. Ma robe se dégrafe sur ma hanche et mon os saillant est irrité par la toile et la colle, il faudra la recoudre, me la recoudre à même le corps. Combien de plans à faire encore aujourd’hui ? Ahhhhh oui il faut encore refaire ce mouvement quand je passe ma langue sur les lèvres en minaudant do it do it baby. Pas trop de chorégraphie aujourd’hui, demain, demain… Ou une doublure, c’est ça une doublure. Je suis épuisée, rincée, il faut que j’y retourne, ce soir je ne resterai pas, je ferai juste ce mouvement en regardant la caméra et en pensant à après, je partirai quand le clip sera terminé je rentrerai pour de bon chez moi. J’ai besoin de ça, de revenir à avant. A autrefois, à mon frère avec ses dents du bonheur.

Quelqu’un passe la tête derrière la porte me fait un signe de la tête. Une seconde, une minute…. Quelqu’un a laissé un mot dans ma loge au milieu des fleurs – je ne veux plus de ces fleurs – je le lis et c’est Victor qui a écrit : je t’attends. Je dis à ma mère au revoir. « Tout va bien se passer, tout va bien se passer » répète-t’elle mais je raccroche, je passe mes mains sur mes joues, mes sourcils, mes yeux, ils s’engluent dans le maquillage brûlant. J’ai chaud, j’ai froid, je respire, je prends un calmant, deux calmants, je finis ma cigarette. J’y retourne. Oui oui. Tout de suite.

But your picture on my wall...

***

- Une piscine à débordement, je dis à haute voix.

- Très bien.

- Il faut installer une piscine à débordement à la maison.

- Bien sûr

- Tu crois que c’est possible ?

- Bien sûr.

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