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Lollipop
12 avril 2010

Nos baisers sont des adieux

fenetres_nuit_edward_hopper_15_338_iphoneIl y avait cette porte qui était comme une condition entre nous : si jamais je la passais seul, c’en était fini de notre histoire. Je la passais toujours avec lui, il me la tenait comme il me tenait la main. Les soirs de grosses chaleurs nous ouvrions grands les fenêtres sur la nuit et sur la ville, et c’était alors comme si l’univers, l’éternité étaient précipités vers nous. Nous nous lovions l’un sur l’autre, nous embrassions sans fin, nous étions notre propre air, nos corps notre respiration. Les draps restaient constamment défaits, la lumière éteinte pour empêcher trop d’insectes d’entrer. Les lumières de la ville toutefois, gardaient toujours des lueurs blanches et jaunes comme des yeux sur notre chambre. Ses lèvres n’avaient pas vraiment de saveur mais elles étaient comme une eau froide qui apaisait la canicule. Le temps passait lentement, s’arrêtant même parfois comme pour mieux reprendre son souffle. Ce n’était pas de la complicité entre nous, celle-ci implique une connaissance des esprits que nous n’avions pas ; nous connaissions nos corps et peut-être un peu nos vies mais cela était tout. Et cela était tout. Nous ne parlions pas vraiment mais nous écoutions ensemble. Des musiques entêtantes, des épisodes qui s’enchaînaient sur son écran d’ordinateur sans vraiment de discontinuité. Il y avait toujours des histoires confortables dans lesquelles se plonger et grâce auxquelles la notre pouvait se faire assez discrète pour que nous soyons heureux. Nous étions heureux. C’était l’été.

J’ai fini par connaître le goût de sa peau, mais à chaque fois que mes lèvres s’en détachaient je l’oubliai irrémédiablement. Je devais alors y replonger pour recouvrer la mémoire, et lorsque je communiais avec lui, la connaissance de bien des choses me venait. Il arriva un point où je n’existais plus sans lui. Je perdais tous mes sens lorsque j’étais séparé de son corps et mon âme devenait une sorte de filament blanc qui s’échappait de moi et partait le rejoindre, où qu’il soit. Je ne parvenais plus à me rassembler sans lui. Je m’éparpillais dans son appartement, qui devenait un ventre que je ne désirais plus quitter. La vie avait disparu, il m’avait absorbé. Mon être s’était effiloché et m’avait abandonné pour se coller contre sa peau et ne plus jamais s’en détacher. Plus rien n’existait, plus rien n’était sérieux, plus rien n’était grave. J’attendais son retour, j’appréhendais son départ. Alors même que j’étais avec lui, que le temps ne courait pas, ses baisers devinrent des adieux. Il n’y avait à présent plus de substance en moi et je lui appartenais totalement puisque j’étais devenu lui. Je mangeais ce qu’il désirait, je m’endormais lorsqu’il avait sommeil, je me levais quand il allait travailler puis je me mettais en suspens jusqu’à son retour. La chaleur m’empêchait le moindre geste, la moindre pensée. De guerre lasse je ne tentais pas de lutter pour me réapproprier ma vie. Il s’éloignait, mais je ne refaisais pas surface. Pourtant tout restait pareil, sans jamais sembler devoir mourir ni même se flétrir. Je buvais la même eau claire à ses yeux, rien ne me paraissait gâté, il n’y avait aucune fin de prévue au programme. La fin de l’été arriva cependant, qui annonçait le retour de l’existence.

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