Canalblog
Editer l'article Suivre ce blog Administration + Créer mon blog
Publicité
Lollipop
28 juillet 2014

La cérémonie - 1ère partie

img_4644

L’amant me présenta comme l’assistante. La femme nous reçut, vêtue de ses cheveux d’une longueur inhumaine et lissés à la japonaise, d’un blond étrange confinant au blanc ; elle portait par ailleurs un maillot de bain à la mode des années 60 et marchait pieds nus. Elle nous souhaita la bienvenue dans un français dénué d'accent puis nous fit pénétrer dans la demeure ; sur le seuil du hall d’entrée un employé sortant de la pénombre l’aida à enfiler un peignoir de bain jaune. La femme avait fait le geste comme si le domestique n’était pas là, comme si elle pouvait se laissait tomber de tout son poids et possédait une foi absolue dans le fait qu’on allait la rattraper, sans qu’elle dise un mot, sans qu’elle jette le moindre regard, l’homme noir semblant une extension de son être, mu par un tentacule invisible et nombreux. Alors qu’elle nous désignait une nouvelle pièce, l’amant me montra un endroit sur le sol du hall où il n’y avait absolument aucune trace " c’est là "dit-il à mi-voix (nous avions parlé durant le trajet de cette employée qui avait été retrouvée pendue par les pieds, la gorge ouverte à moitié) et je savais que notre hôtesse nous avait entendu ; j’imaginais alors le tableau comme on prend une photo ; en imaginant comment la scène se déploierait sur du papier glacé avec le cadavre.

Nous étions en avance et pourtant à l’heure ; rien ici ne devait commencer avant 21h, et de fait jamais un horaire n’était donné pour une réception, quel qu’en soit l’ampleur. Il fallait l’instinct, comme les animaux qui se rassemblent tous autour d’un point d’eau à un moment précis de la journée, savoir quand exactement se présenter et de quelle façon, quoi porter. Nous traversâmes d'immesne pièces décorés à la mode des années 20 : explosives et géométriques, colorfull. On nous installa ensuite sur des transats au pied de la piscine intérieure ; celle-ci s’étalait jusqu’à l’extérieur de la villa par une ouverture gigantesque, encadrée de vitraux et de statues de marbre représentant des femmes dans une pose lascive, embrassées ou caressées. Je demandais pourquoi nous ne pourrions pas nous mettre au soleil afin de profiter des derniers rayons de la journée mais l’amant me répondit embêté – l’hôtesse souriait - que c’était une chose qui ne se pratiquait pas vraiment, le bronzage et l’allure qui va avec, le luxe du lumineux étant comme tout ce qui est recherché de montrer que l’on s’en affranchissait (bien qu’on le posséda entièrement). D’ailleurs la clarté dans l’antichambre de la véranda, recouverte de mosaïque bleu crétois, était si forte que je du conserver mes lunettes de soleil. On nous servit du sorbet de fruit fondu avec un assortiment de pilules dont j’ignorais le contenu ; elles avaient toute la même forme hexagonale mais présentaient des couleurs pastels différentes, sorte d’arc-en-ciel au contenu édulcoré et incertain. L’amant m’apprit qu’il en était de même pour ces pilules que pour le fugu : la plupart était des anxiolytiques ou des hypnotiques plus ou moins puissants mais dans l’un d’entre eux on avait incorporé un somnifère si puissant qu’il pouvait vous tuer. Le regard fondu l’un d’en l’autre, l’amant et la femme en prirent un au hasard et l’avalèrent sans y jeter un seul coup d’œil. Je refusais ce qui provoqua une moue à mon hôtesse, visiblement déçue.

D’un claquement de doigt elle fit mettre de la musique et la villa se mit à résonner de titres des années 80s pop et complètement dépassés, ce qui les rendaient forcément indispensables. Elle dit « je n’ai même pas encore profité de la piscine et on est déjà à la fin de l’été ». Je demandais ingénument pourquoi elle portait alors un maillot de bain ; la femme regarda l’amant, qui me réprimanda d'un claquementd e langue (je multiplisais les faux pas). J’ajoutais ensuite pour changer de sujet qu’il s’agissait d’une des phrases récurrentes de Gatsby le magnifique, je sentis alors que je piquais son intérêt mais elle ne rebondit non plus, laissant s'installer un silence qui ne semblait déranger que moi. Ils se mirent ensuite à parler de cette demeure sur les hauteurs de Mullolhand Drive qui avait brûlé et dont les deux domestiques avaient péri ; on avait retrouvé les corps « retournés » dans la pièce principale alors que les baies vitrées étaient ouvertes. Je demandais ce que pouvait signifier « retournés » et la femme me répondit « twisted » puis en français « comme un élastique ». La sonnerie retentit doucement et la femme s’excusa de devoir nous laisser, insista pour que je profite de la piscine. Je répondis que je n’avais pas prévu de maillot (ce qui était faux, j’en avais un dans la voiture, mais je ne me sentais pas à l’aise pour m’en vêtir et être ainsi dévêtue). Elle fit alors un signe de la main au domestique qui restait derrière elle comme un mime immobile ; celui-ci m’invita à le suivre dans un français parfait. Je jetais un dernier coup d’œil à l’amant qui leva son verre dans ma direction puis je commençais à monter les marches d’un immense escalier ; le long des murs, entre les vitraux art-déco, me toisaient d’immenses peintures grandeur nature de femmes qui paraissaient appartenir à différentes époques mais semblaient toutes posséder le regard de mon hôtesse.

Parvenue à l’étage, le domestique me désigna une porte que je franchis et où il ne me suivit pas. A l’intérieur, tranchant avec les couleurs exubérantes du reste de la villa, je me trouvais dans une chambre entièrement blanche et, chose un peu étrange, absolument tout y était de la même nuance de gris-beige, du dessus de lit aux murs en passant par les objets (un vase avec des fleurs recouvertes de peinture, un cadre vide, un bureau, des livres dénués de titres).  Je n’en vis que mieux le maillot d’un corail flamboyant qui m’attendait, au milieu de la pièce ; il était placé sur un mannequin qui pointait son doigt dans ma direction.

Publicité
Publicité
Commentaires
Publicité
Lollipop
Archives
Publicité