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Lollipop
30 juillet 2014

L'air de la reine de la nuit

muglerc

Il y avait un peu de ces vieux dessins-animés, lorsque ma mère a ouvert cette boîte ronde de fer blanc où aurait pu se trouver un chapeau mais où en réalité étaient conservés milles boutons de mille couleurs différentes. Elle en choisit un et, alors qu’elle était déjà apprêtée – elle avait mis ses bas et sa robe crème, son collier de perle assorti aux boucles d’oreille, elle se mit à repriser avec dextérité un point invisible dans les manches de la veste de mon père. Ce-dernier se parfumait à l’envie dans la salle de bain, qui faisait face à leur chambre à coucher. Je me tenais là, assis par terre, faisant semblant de lire un livre de conte (ou de la bibliothèque rose aux pages un peu jaunes), à l’endroit même où une ère plus tôt s’étendait mon lit de très petit enfant. Je n’ai de ces nuits que le souvenir du tourniquet qui virevoltait au-dessus de moi et vers lequel, de toute mes forces, nuit après nuit, je tendais mes bras en vain, n’effleurant que du bout du doigt un cheval où un mouton qui passait. Il était 19h, et le monde s’endormait ; ne veillaient que les êtres qui bravaient le monde, s’enhardissaient dans la nuit sur des passerelles de civilisation qui seule définissait la grâce nocturne, vie plus forte à laquelle je n’avais pas encore le droit et qui m’étourdissait, mêlant les monstres des nuits et les personnages de publicité qui valsaient sur le toit des immeubles.

Mon père avait offert cette boîte de satin rouge et ma mère en l’ouvrant parut si heureuse ; elle l’embrassa en passant les bras autour de son cou. Œdipe et Electre s’emmêlèrent les poncifs, qui me firent acheter quelque semaines plus tard, avec une multitude de pièces brillantes comme le papier aluminium, un petit pendentif que je demandais à placer dans une boîte similaire ; je fus contrit d’apprendre que la papetière n’en avait aucune : elle me remit dans le plat de la main l’objet minuscule enveloppé toutefois d’un papier légèrement translucide, comme un papillon précieux et fragile.

De mes ablutions du matin dans la salle de bain me reviennent quelques souvenirs à l’émotion intacte malgré leurs contours brumeux : la moquette rose bonbon qui recouvre le tabouret sur lequel je dois monter pour me laver les dents, le tiroir des médicaments qui me rend alchimiste, lorsque je dis à ma mère que plus tard je l’épouserai car je l’aime, et alors, avec une sincérité franche, je ne compris pas pourquoi elle refusa ma main que je m’apprêtais pourtant à trancher avec mes ciseaux à bouts ronds.

Je vis mon père et ma mère flamboyants devant le pas de la porte, personnages rouges et noirs des années 80, capiteux de parfums et de cuirs neufs, frais de tissus lisses et légers sous les doigts, aux visages lumineux, dans une entente qui m’échappait et qui me rappelait qu’avant mon amour, pourtant dispendieux, il y avait autre chose qui ne m’appartenait pas, qui était en dehors et au-delà de moi, inssaisable et néanmoins prégnant.

Je les vis partir et toujours se mêle à cette vision les premières images du Batman de Tim Burton, les perles qui rebondissent et roulent sans fin sur le sol, le rouge sur le blanc, les éclairages géométriques et les ombres de la ville, l’ambiance dramatique et grisante, la fin implacable. J’ai toujours peur pour eux.

La voiture était une BMW grise aux sièges recouverts d’un velours vert sombre. Lors des trajets nocturnes je faisais la collection des témoins lumineux du tableau de bord et de leurs couleurs. Il y avait une cassette qui passait en boucle et dont je connaissais tous les accords, personne ne l’aimait vraiment, mais elle faisait partie du sonorum des voyages, une entente tacite qui était celle des coutumes familiales connues d'elle seule. Cette nuit-là je jouais la partition pour moi-même et je rêvais d’une lune qui percutait le soleil, et d’étoiles qui se télescopaient.

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