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Lollipop
21 septembre 2014

Nightcall

driveIl aura fallu tout d’abord pénétrer en territoire nocturne ; il aura fallu que les lumières artificielles prennent le pas sur la pâleur rougeoyante de ces ciels de fin d’été, dont l’agonie lente colore le frimas de teintes nostalgiques.

Il y a la télévision allumée sur des publicités après le journal, juste avant le premier film du dimanche soir, qui catalysera chez moi une certaine absence au sentiment, mais je ne réussirais pas à rester plus de dix minutes devant sans me lever, faire autre chose, ranger l'appartement, élaborer un projet brumeux, me perdre dans la contemplation d'images sans superficie.

Il y a ce message qui pèse au fond de ma poche comme une pierre de nacre, il y a tes mots qui m’attendent avec une impatience lancinante, et j’ai ce pouvoir en apnée, d'avoir le droit de te répondre par des émotions brutales, ou bien de ne jamais te recontacter, te muant ainsi en une nervure bleue pâle dans mon cerveau, qui sera pour toujours cette main tendue vers moi que je n’aurais pas saisie, qui m’appartiendra éternellement comme un secret.

Mais je n’ai pas l’esprit à l’acte égoïste ni à la durabilité. J’ai mangé sur le pouce, je n’ai même pas mis la table, j’ai avalé les aliments directement sur le bar, c’est à peine si j’ai utilisé les couverts.

« Moi, tout ce que je veux, en fin de compte, c’est être avec toi ». Je fais fi de la niaiserie : lorsqu’il est question d'histoire d'a., les sentiments outrepassent l’usure des mots. On peut faire de phrases fatiguées des univers aux forces gravitationnelles puissantes, on peut créer son propre dictionnaire de mots passéistes, on peut faire une métronomie violente de leurs syllabes, entretenir une lecture comme des cathéters dans les veines coronaires.

Je réponds que je suis en route. Je ne te préviens pas en avance. Je veux être dans l'instant du message que je te fais parvenir. Je veux te surprendre chez toi dans ton habitat dérangé, adapté à ta vie et non aux visites scrutatrices, je veux te voir les cheveux en bataille dans un caleçon délavé, les draps défaits et le petit déjeuner pas encore débarrassé, la barbe de deux jours qui griffe, je veux saisir ton image dans l’indolence des fins week-end, les lèvres empâtées de café et de cigarettes.

*

Il est presque demain lorsque j’ouvre la porte arrière d’un taxi et m’y engouffre.

Je trouve l’intérieur du véhicule trop lumineux (ce qui me donne l’impression qu’il est surchauffé). Je suis néanmoins rapidement rassérénée par la douceur de l’air, fraîchi par une climatisation impeccable, et je suis aussi soulagée de m’asseoir après avoir marché de longues minutes dans la nuit, qui ont tendu mes muscles en projectiles impatients. J’indique la destination au conducteur, un homme compact affublé d’une moustache et de cheveux gras, sentant à la fois la transpiration et l’after-shave trop mentholé. Je perds ensuite mon regard dans les formes de la nuit, que la voiture sombre transperce comme des masses épaisses et noires.

Le taxi parvient en haut de collines qui surplombent la ville et je peux la voir d’ici tout entière, lumineuse, cillante, comme le reflet d’un ciel d’août parsemé d’étoiles filantes. L’air reste clair, et autour de la lune un halo blanchâtre s’épanche. L’astre paraît gigantesque, à la fois très lointain et très proche, comme la paupière close d’un être qui ne s’endort pas.

*

Chez toi, la lueur d’un réverbère de la rue attenante produit des ombres chinoises sur le plafond. Elles sont cependant brouillées par une lumière restée allumée, ainsi que par la fumée opaque, la vapeur salée des corps, et les sonorités solides et aériennes qui tournent autour nos corps rougis, comme un manège.

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